Se connecter
Appel à articles, vol.23 n2 - Organisations et pouvoir : vers un nouveau paradigme postpandémique

Appel COMMposite Vol. 23, n. 2

Organisations et pouvoir : vers un nouveau paradigme postpandémique

 

Les étudiantes et étudiants de 2e et de 3e cycles, ainsi que les jeunes chercheures et chercheurs sont invitées et invités à soumettre un texte pour le prochain numéro thématique de COMMposite (Vol. 23, n. 2) intitulé « Organisations et pouvoir: vers un nouveau paradigme postpandémique ». La revue accepte les articles originaux, les notes de recherche, les entrevues et les recensions d’ouvrages reflétant la recherche francophone en communication.

 

L’objet de cet appel est d’étudier les nouvelles dynamiques de pouvoir dans les organisations dans un monde postpandémique, et ce, sous un prisme communicationnel. Concernant les organisations de travail, ces enjeux sont le plus souvent abordés par la littérature managériale, comme l’atteste le champ d’étude émergent sur les ‘new ways of working’ (Ajzen, 2021 ; Mitev et al., 2021 ; Taskin, Ajzen et Donis, 2017) ou celui, plus ancien, des critical management studies, dites CMS (Alvesson et Willmott, 1992) qui invite à comprendre les enjeux de pouvoir dans les organisations (post)modernes. Toutefois, il existe aussi des avenues intéressantes en communication et en sociologie du travail pour appréhender les nouvelles configurations de pouvoir en organisation.

 

Pendant la pandémie de la COVID-19, l’engagement au monde s’est effectué à travers un usage intense des technologies numériques (Mukherjee, 2021), ce qui justifie en soit l’intérêt porté à une explication communicationnelle. Par ailleurs, selon une perspective foucaldienne, le pouvoir n’est pas une propriété mais une pratique, qui opère grâce au savoir et de manière discursive (Bratu, 2000 ; Foucault, 1970). Enfin, si le travail est constitutif de l’identité (Mumby, 2013, 2019) et représente le domaine par excellence pour comprendre comment la communication prend part aux organisations, le monde corporatif n’a pas l’exclusivité des problématiques de pouvoir. Pensons aux organisations communautaires (Fortier et al., 2022), alternatives (Del Fa et Vásquez, 2019), bénévoles (Del Fa, Lamoureux et Vasquez., 2021) ou encore militantes (Myles, 2019) et à tous les phénomènes organisationnels en ligne (Fortin, 2016) qui, comportent également des dynamiques d’un groupe sur d’autres. Finalement, toutes ces structures évoluent dans un contexte de capitalisme néolibéral, que Kuhn, Ashcraft et Cooren (2017) invitent à penser ni comme une figure en arrière-plan, ni comme une force externe instigatrice de formes d'organisations particulières, mais comme un participant intrinsèquement lié aux pratiques dites socioéconomiques, notamment le travail. Enfin, le pouvoir dans les organisations ne pourrait se comprendre sans une lecture intersectionnelle, qu’elle soit féministe (Ashcraft, 2013, 2019), décoloniale (Barranquero Carretero et Sáez Baeza, 2017) ou concernant d’autres segments comme celui du handicap (Gignac et al., 2021) ou de la religion (Ward, 2015).

 

Cet appel s’intéresse également à toute contribution théorique ou méthodologique cherchant à participer à la littérature francophone en communication organisationnelle. En effet, ce champ de recherche est dominé aujourd’hui par les recherches anglophones puisqu’il  prend ses racines en Amérique du Nord (Parent, 2004) au début du XXème siècle, avec l’émergence d’un champ d’étude ; la speech communication. Si ce champ existe aussi en Europe, la communication organisationnelle en France a plutôt été comprise comme l’étude de la communication dans les organisations, se centrant davantage sur les usages des nouvelles technologies et le changement organisationnel (Bouillon et al., 2007).

 

Après une phase de consolidation puis de cristallisation de la discipline, les années 1980 sont marquées par le virage interprétatif, qui cesse de considérer la communication comme un élément circulant à l’intérieur de l’organisation, mais comme un élément participant à l’existence de cette dernière. Les études organisationnelles ont alors été marquées par un glissement entre une vision entitative de l’organisation, où cette dernière est vue comme un objet délimité, et l’étude des organisations comme processus social. Karl Weick (1979) a été l’initiateur de ce tournant interprétatif en retravaillant la notion d’organisation en organizing (Langley et Tsoukas, 2016), mais c’est surtout à partir des années 1990 que ses travaux ont reçu un large écho dans la littérature organisationnelle. Ce virage ontologique est un terreau fertile pour le développement des approches processuelles au sens large (Langley, Smallman, Tsoukas et Van de Ven, 2013), mais aussi  des perspectives de la pratique (Nicolini, 2012 ; Schatzki, Knorr-Cetina et Von Savigny, 2001),  des approches sociomatérielles (Feldman et Orlikowski, 2011 ; Orlikowski et Scott, 2008), ou encore de l’approche de la communication constitutive des organisations (CCO) qui s’appuie sur une ontologie processuelle centrée sur la dimension performative de la communication (Cooren, 2010 ; Schoeneborn et al., 2014). Ces courants présentent des bases théoriques et des intérêts communs, notamment la matérialité, la relationalité et l’incarnation.

 

Par ailleurs, les approches critiques proposent également des avenues intéressantes pour saisir comment les organisations seraient socialement construites via des processus communicationnels, au lieu d’être des structures « objectives ». Les approches critiques réinsèrent les luttes de classe, les enjeux de pouvoir et de souffrance au travail au sein des organisations qui sont souvent dépolitisées par les approches managériales contemporaines (Mumby, 2019; Chamayou, 2018). La communication n’est pas qu’une force stabilisatrice dans les organisations, elle peut aussi renforcer le contrôle et inciter à augmenter la productivité aux dépens de la santé mentale des travailleurs (Dejours, 2021). Paradoxalement, dans certains cas pathologiques comme le procès France Télécom par exemple, la communication peut aussi être cause  de  désorganisation et de  souffrance (Lerouge, 2021).

 

En effet les organisations sont des sites politiques de pouvoir et de contrôle, où la création de sens organisationnel est façonnée par les différents acteurs et parties prenantes. Les points de vue critiques considèrent alors le pouvoir comme un processus par lequel l’identité des membres de l’organisation est façonnée pour accepter et soutenir activement certains intérêts. Cette vision critique rappelle alors le concept d’hégémonie proposé par le philosophe italien Antonio Gramsci (1971), qui réfère à la lutte pour l'établissement de certaines significations et d’idées dans la société. Se pose alors la question de comment appréhender au mieux les dynamiques de pouvoir dans les organisations. Si l’ethnographie organisationnelle a longtemps été une piste privilégiée (Rouleau, 2013 ; Yanow, 2009) pour observer de près les dynamiques de pouvoir, la pandémie a imposé d’en repenser les fondements dans un monde distancié. Cela laisse donc un espace au développement d’autres méthodologies critiques. C’est le cas par exemple de la Workers Inquiry, ou encore de recherches plus engagées, ce que Granjon (2020) nomme des recherches “ethnopratiques”.

 

Aujourd’hui, le monde des organisations est donc profondément remanié et troublé par de nouvelles problématiques en lien avec le pouvoir, que ce soit en lien avec les logiciels de surveillance des travailleuses et travailleurs, la question du contrôle dans les configurations de travail à distance, la précarisation et fragilisation des petites structures, la soumission aux algorithmes. Le numérique et toutes les innovations interférant dans le champ de la communication telles que les plateformes ou l’intelligence artificielle redéfinissent de façon structurelle nos rapports au travail, au collectif et par extension au pouvoir. Comment s'articulent les dynamiques entre contrôle et résistance dans les pratiques et les discours organisationnels dans un monde postpandémique ? Comment s’organise la résistance au capitalisme, à la globalisation, au sexisme et au colonialisme dans un contexte de plus en plus mondialisé ? Comment s’opèrent et se normalisent les enjeux de pouvoir dans un monde médié par les technologies ? Si le lien entre organisations et pouvoir fait partie des débats intemporels dans la littérature académique, le prochain numéro de COMMposite invite les jeunes chercheuses et chercheurs à le repenser non seulement dans un contexte postpandémique, mais également sous un prisme communicationnel.

 

Parmi les thèmes encouragés, soulignons de manière non exhaustive :

 

●       L’analyse critique de phénomènes organisationnels contemporains en milieu de travail postpandémique (travail à distance, travail fragmenté, entreprises distribuées, surveillance, etc).

●       Les études portant sur les discours, normes et injonctions en lien avec la plateformisation du monde du travail et les nouvelles technologies.

●       Les articles théoriques en communication organisationnelle s’ancrant dans les approches constitutives de la communication, les approches processuelles, sociomatérielles, les perspectives de la pratique ou les approches critiques.

●       Les recherches interdisciplinaires conjuguant, autour d’un objet d’étude organisationnel, perspective communicationnelle et travaux issus de la sociologie, de la gestion, psychologie des organisations, de la philosophie, etc.

●       Les études portant sur des phénomènes organisationnels alternatifs, avec un intérêt particulier porté aux travaux prospectifs.

●       Les études intersectionnelles, féministes, queer et / ou décoloniales sur les dynamiques de pouvoir en organisation.

●       Les propositions méthodologiques innovantes pour appréhender les dynamiques de pouvoir en contexte organisationnel.

●       Les travaux en recherche-action, recherche-intervention et en recherche-création, en lien avec des phénomènes organisationnels, sont également encouragés.

Le mandat de COMMposite étant de permettre aux chercheures et chercheurs de la relève de faire l’expérience d’un premier processus de publication, seulement les étudiantes et les étudiants des cycles supérieurs (maitrise et doctorat) ainsi que les chercheures et chercheurs en début de carrière (moins de deux ans depuis la soutenance de la thèse de doctorat) sont invitées et invités à soumettre leurs textes.

La date limite de soumission sur le site Internet de la revue est le 3 juillet 2023.

Politiques éditoriales

Les politiques éditoriales, les directives et les règles de mises en page à respecter avant soumission sont disponibles à l’adresse suivante : http://www.commposite.org/index.php/revue/about/submissions#authorGuidelines

Nous invitons les personnes souhaitant proposer des articles pour Commposite à consulter le guide de féminisation et à s’y conformer : https://geracii.uqam.ca/wpcontent/uploads/sites/33/2018/07/Guide-de-feminisation-et-de- francisation-destextes_COMMposite.pdf

 

Références bibliographiques

 

Ajzen, M. (2021). From De-materialization to Re-materialization: A Social Dynamics Approach to New Ways of Working. Dans N. Mitev, J. Aroles, K. A. Stephenson et J. Malaurent (dir.), New Ways of Working: Organizations and Organizing in the Digital Age (p. 205‑233). Palgrave Macmillan.

Alvesson, M. et Willmott, H. (1992). Critical theory and management studies: An introduction. Critical management studies, 1‑20.

Ashcraft, K. L. (2013). The Glass Slipper: “Incorporating” Occupational Identity in Management Studies. Academy of Management Review, 38(1), 6‑31.

Ashcraft, K. L. (2019, 13 mars). Feeling Things, Making Waste : Hoarding and the Dis/Organization of Affect. Dis/organization as Communication.

Barranquero Carretero, A. et Sáez Baeza, C. R. (2017). Latin American critical epistemologies toward a biocentric turn in communication for social change: communication from a good living perspective. Latin American Research Review.

Bouillon, J.-L., Bourdin, S. et Loneux, C. (2007). De la communication organisationnelle aux «approches communicationnelles» des organisations: glissement paradigmatique et migrations conceptuelles. Communication et organisation. Revue scientifique francophone en Communication organisationnelle, (31), 7‑25.

Bratu, F. (2000). Discours et sujet chez Michel Foucault. Quand dire c’est (le) pouvoir. ROCSIR, 1, 27‑59.

Chamayou, G. (2018). La société ingouvernable: une généalogie du libéralisme autoritaire. Paris: La fabrique éditions.

Cooren, F. (2010). Ventriloquie, performativité et communication. Ou comment fait-on parler les choses. Réseaux, 163(5), 33‑54.

Dejours, C. (2021). Ce qu'il y a de meilleur en nous: Travailler et honorer la vie. Paris: Éditions Payot.

Fa, S. D., & Lamoureux, S. (2022). Devenir ingouvernable: Pour une approche processuelle de l’émeute. Socio. La nouvelle revue des sciences sociales, (16), 85-117.

Del Fa, S., Lamoureux, S. et Vásquez, C. (2021). Les pratiques de travail bénévoles à l’ère du capitalisme néolibéral.  Nouvelles pratiques sociales, 32(1), 310-334.

Del Fa, S. et Vàsquez, C. (2019). Existing through differantiation: a Derridean approach to alternative organizations. M@ n@ gement, 22(4), 559‑583.

Feldman, M. S. et Orlikowski, W. J. (2011). Theorizing practice and practicing theory. Organization science, 22(5), 1240‑1253.

Fortier, G. P., Bencherki, N., Phaneuf, G., Sénac, C. et Vásquez, C. (2022). Exploration des dynamiques de mobilisation dans le milieu communautaire et philanthropique au Québec [Université du Québec à Montréal ; Université TÉLUQ].

Fortin, A. (2016). La co-création de valeurs dans une communauté en ligne sur Facebook : le cas de la Société de Transport de Montréal [Université du Québec à Montréal].

Foucault, M. (1970, 2 décembre). L’Ordre du Discours [Leçon inaugurale]. Leçon inaugurale au Collège de France, prononcée le 2 décembre de 1970, Collège de France.

Gignac, M. A., Bowring, J., Jetha, A., Beaton, D. E., Breslin, F. C., Franche, R.-L., Irvin, E., Macdermid, J. C., Shaw, W. S. et Smith, P. M. (2021). Disclosure, privacy and workplace accommodation of episodic disabilities: organizational perspectives on disability communication-support processes to sustain employment. Journal of Occupational Rehabilitation, 31(1), 153‑165.

Gramsci, A. (1971). Selections from the prison notebooks. International Publishers

 

Granjon, F. (2020). Enquêter sur/avec/pour Uzeste. Agencements, 5(1), 59-83.

 

Kuhn, T., Ashcraft, K. L. et Cooren, F. (2017). The work of communication: Relational perspectives on working and organizing in contemporary capitalism. Taylor & Francis.

Langley, A. N. N., Smallman, C., Tsoukas, H. et Van de Ven, A. H. (2013). Process studies of change in organization and management: Unveiling temporality, activity, and flow. Academy of management journal, 56(1), 1‑13.

Langley, A. et Tsoukas, H. (2016). Introduction: Process Thinking, Process Theorizing and Process Researching. Dans The SAGE Handbook of Process Organization Studies (p. 1‑25). SAGE Publications Ltd.

Lerouge, L. (2021). Le jugement France Télécom: contribution à l’étude de la démonstration juridique fondant l’incrimination pénale de «harcèlement moral institutionnel». Travailler, 46(2), 39-55.

Mitev, N., Aroles, J., Stephenson, K. A. et Malaurent, J. (2021). Introduction: New Ways of Working, Organizations and Organizing in the Digital Age. Dans N. Mitev, J. Aroles, K. A. Stephenson et J. Malaurent (dir.), New Ways of Working: Organizations and Organizing in the Digital Age (p. 1‑19). Springer International Publishing.

Mukherjee, A. (2021). Technology and the Simultaneous Collapsing and Expanding of Organizational Space: A COVID-19 Experience. New Ways of Working, 343.

Mumby, D. K. (2013). The postmodern Workplace: Teams, Emotions, and No-collar Work. Dans Organizational communication, a critical approach. SAGE Publications.

Mumby, D. K. (2019). Work: What is it good for? (Absolutely nothing)—a critical theorist’s perspective. Industrial and Organizational Psychology, 12(4), 429‑443.

Myles, D. (2019). ‘Anne goes rogue for abortion rights!’: Hashtag feminism and the polyphonic nature of activist discourse. New Media & Society, 21(2), 507‑527.

Nicolini, D. (2012). Introduction. Dans Practice Theory, Work, and Organization: An Introduction. (p. 1‑22). OUP Oxford.

Orlikowski, W. J. et Scott, S. V. (2008). Sociomateriality: challenging the separation of technology, work and organization. Academy of Management annals, 2(1), 433‑474.

Pacanowsky, M. E. et O’Donnell‐Trujillo, N. (1983). Organizational communication as cultural performance. Communication Monographs, 50(2), 126‑147.

Parent, B. (2004). Une approche du champ de la communication organisationnelle aux États-Unis. Communication et organisation, (25).

Putnam, L. et Pacanowsky, M. E. (1983). Communication and organizations: An interpretive approach (vol. 65). SAGE Publications, Incorporated.

Rouleau, L. (2013). L’ethnographie organisationnelle d’hier à Demain. Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, 27‑43.

Schatzki, T. R., Knorr-Cetina, K. et Von Savigny, E. (2001). The Practice Turn in Contemporary Theory (Von Savigny, E). Routledge.

Schoeneborn, D., Blaschke, S., Cooren, F., McPhee, R. D., Seidl, D. et Taylor, J. R. (2014). The three schools of CCO thinking: Interactive dialogue and systematic comparison. Management communication quarterly, 28(2), 285‑316.

Taskin, L. (2012). Book review: New Ways of Organizing Work: Developments, Perspectives and Experiences. Sage Publications Sage UK: London, England.

Taskin, L., Ajzen, M. et Donis, C. (2017). New ways of working: from smart to shared power. Dans Redefining management (p. 65‑79). Springer.

Ward Sr., M. (2015). Organization and Religion: Ontological, Epistemological, and Axiological Foundations for an Emerging Field. Journal of Communication & Religion, 38(3), 5‑29.

Weick, K. E. (1979). The social psychology of organizing (2e éd.). Random House.

Yanow, D. (2009). Organizational ethnography and methodological angst: myths and challenges in the field. Qualitative Research in Organizations and Management: An International Journal.

 



Les Éditions électroniques COMMposite. ISSN : 1206-9256. Les textes sont la propriété de leurs auteurs respectifs.